Le vin russe recèle quelques pépites dignes des plus grands crus et est le fruit d’une histoire pluriséculaire… même s’il n’est pas issu du plus célèbre et du plus prisé des vignobles. Sa renaissance, depuis les premières années du XXIe siècle, apporte un éclairage à la récente appropriation par la Russie de l’appellation Champagne pour son marché intérieur.
Le vin russe, entre la mer Caspienne et la mer Noire.
L’essentiel de la viticulture russe se concentre sur la rive septentrionale de la Mer Noire, notamment dans la péninsule de Crimée, et se prolonge sur les flancs nord du Caucase jusqu’à la Mer Caspienne. Nous utilisons donc le terme de vin russe par facilité sémantique, dans son acception historique la plus large, regroupant des territoires appartenant à la Russie impériale ou à l’URSS, au-delà des enjeux géopolitiques actuels.
Comme pour de nombreux vignobles, les origines de la vigne russe remontent aux prémices de l’époque classique de la Grèce antique, vers 500 av. J.-C.. Les navigateurs corinthiens de Mégare qui sillonnèrent la Crimée apportèrent dans leurs soutes des amphores de vin. Ils transmirent l’art de la viticulture aux Scythes qui peuplaient la région.
Le prince Lev Sergueïevitch Golitsyne donne ses titres de noblesse au vin russe
Mais c’est bien plus tard, à l’époque impériale, encouragé par les tsars, que le vin russe connut ses heures de gloire. La figure emblématique de l’Âge d’Or de la viticulture russe fut le prince Lev Sergueïevitch Golitsyne. Issu d’une des plus grandes familles de l’aristocratie russe, il planta plusieurs centaines de cépages dans son domaine de Novyï Svet, mêlant variétés traditionnelles occidentales et locales, et s’essaya aussi à de nouveaux croisements. Il élabora même un « champagne russe », du moins un vin pétillant qui remporta la Médaille d’Or lors de l’Exposition Universelle de Paris de 1889. À sa mort, il légua sa fabuleuse collection au domaine de Massandra en Crimée, créé à l’initiative de Nicolas II afin de fournir la cour impériale.
Le domaine de Massandra perpétue l’excellence des vins russes
Ce domaine de Massandra, sorte de cave coopérative impériale, vinifiait les raisins issus d’exploitations s’étendant sur 1 780 hectares et rassemblant de nombreux cépages. Il produisait essentiellement des vins liquoreux et mutés, et quelques rouges, dont plusieurs faisaient ouvertement référence à une célèbre appellation européenne : xérès, porto, madère, malaga, marsala. Il existait même un Kagor, sur le modèle du Cahors avec lequel Pierre le Grand aurait soigné son ulcère. Cette anecdote nous fut contée, l’air malicieux, par le truculent Michel-Jack Chasseuil, célèbre collectionneur à la tête de l’une de plus belles caves au monde, lors d’un dîner au cours duquel nous bûmes l’une de ces cuvées de Massandra dont j’ai honteusement oublié les détails.
L’excellence des vins russes de la collection de Massandra se matérialise par les prix stratosphériques qu’atteignent ces cuvées lors des ventes aux enchères ponctuellement organisées à Londres en 1990, 2001, 2004, ou encore 2015. Les flacons les plus précieux trouvèrent alors preneurs à plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d’euros chacun.
Après la politique, Vladimir Poutine se voit vigneron
À l’époque soviétique, la production fut industrialisée et atteignit, en 1980, 48 millions d’hectolitres. Les vins pétillants bon marché étaient à l’honneur et nommés « champagne soviétique ». Ce volume plaçait l’URSS au quatrième rang mondial derrière l’Italie, la France et l’Espagne. Il diminua considérablement au cours de la décennie 1980 du fait de la campagne contre l’alcoolisme menée par Mikhaïl Gorbatchov. Puis il s’effondra en même temps que se disloqua l’Union soviétique, à tel point que le vin russe fut menacé de disparaître.
Depuis le début des années 2000, le vin russe semble connaître un renouveau sous l’impulsion de grands domaines dont Massandra, Novyï Svet (ou Novy Svet), ou encore Abrau-Durso, groupe viticole fondé par Nicolas II, et dans lequel Vladimir Poutine a déclaré s’imaginer travailler après son retrait de la vie politique.
Plusieurs œnologues français participent à ce nouvel élan de la viticulture russe dont Franck Duseigneur, Hervé Justin (ex Duval-Leroy) responsable des assemblages chez Abrau-Durso, Alain Dugas (ex la Nerthe), ou encore Patrick Léon ancien directeur technique de Mouton Rothschild, Opus One et Almaviva.
Auteur : Aurélien Grevet
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